Gerald Brown
Bass player
Los Angeles
Son talent et son sérieux, ses meilleurs alliés
Gerald a 9 ans quand il intègre l’orchestre de l’école. Toutes les écoles ont un orchestre à l’époque. Tous les enfants qui le souhaitent ont donc accès à l’apprentissage de la musique et d’un instrument. Gerald précise que les choses ont changé depuis, et que faute d’argent, ces orchestres ne sont plus toujours maintenus.
Il choisi la trompette, mais son frère lui conseille de se mettre à la contrebasse, parce que les bassistes sont trop “cool” !
Sa tante le voit progresser et lui propose de lui payer des leçons privées, seulement s’il est vraiment sérieux. Gerald accepte et promet d’être sérieux. Il a alors 13 ans.
Il apprend donc avec l’orchestre de l’école, les professeurs particuliers, mais il apprend aussi seul, en écoutant ses idoles à la radio (James Brown, et les chanteurs et musiciens de la Motown), et en écoutant les disques qu’il a chez lui. « Je n’arrêtais pas de remettre tel ou tel passage et de le rejouer ! J’étais capable de jouer à l’oreille ».
Son parcours de musicien professionnel
A 16 ans, on lui propose de jouer avec des musiciens de studio. Il est terrifié, mais accepte ! Parmi ces musiciens, les Jazz Crusaders, Joe Sample au piano. « J’étais mort de trouille, mais fallait y aller ! ».
Gerald m’explique que pendant ces années là, le cercle des musiciens était plutôt restreint et tout le monde se connaissait. En parallèle, il entre à l’Université de Californie du Sud, à Los Angeles (USC, University of South California) et ne cesse de répéter, répéter, répéter… « Practise practise practise » me dit-il ! Il intègre l’orchestre de USC pendant quatre ans. Gerald est très appliqué, il travaille son instrument autant qu’il le peut. Il a aussi beaucoup travaillé à l’oreille et cumule plusieurs atouts. Il sait jouer sans partition. Il s’est déjà forgé une réputation.
Il est souvent appelé pour jouer sur des jingles de publicité pour les radios de Los Angeles, et participe à de très nombreuses émissions de télévision dans lesquelles les musiciens jouent en direct.
En 1974, il joue dans un groupe avec Wayne Vaugh, qui deviendra le producteur de Earth Wind & Fire et écrira Let’s Groove en 1981.
En 1976 (il a alors 22 ans), coup de fil de Marvin Gaye, qui a entendu parlé de lui et qui a besoin d’un bassiste. Gerald est né avec les sons de la Motown. Ils sont plusieurs musiciens à auditionner. Il est le plus jeune, mais il est choisi pour sa technique et son groove. « Je connaissais par coeur le son Motown, je les avais joué des milliers de fois dans ma chambre, gamin et ado. C’était mon truc ! Et tac, je pars en tournée avec Marvin Gaye ! »
Il va ensuite jouer avec Freddie Hubbard (trompettiste), Hubert Laws (un des rares flutiste de jazz) et son frère Ronnie Laws avec qui il est copain.
« Tu sais, tout se passait par le bouche-à-oreille : tu jouais bien, tu étais sérieux, tu étais recommandé, tu rencontrais de nouveaux musiciens, de nouvelles opportunités, et ainsi de suite. Le réseau est fondamental et c’est ce qui construit sa carrière ».
Quand je lui demande quelle est la situation pour les musiciens en 2015, son visage devient grave… Il cherche ses mots, envahie d’une vraie nostalgie…
« C’est beaucoup plus difficile maintenant. La musique électronique a beaucoup changé la donne et a révolutionné l’industrie musicale. Les gars ne s’embêtent plus avec des musiciens. Ils ont besoin de trompette, et aller, un clavier et tu as un son de trompette. Tu veux des percussions, c’est bon, elles sont dans la boite, pas besoin de batteur. La nouvelle génération pense que les sons électroniques remplacent les vrais instruments…pff… En plus, il y avait des tas de clubs où on pouvait jouer : un soir ici, un autre soir là, c’était incroyable ! La demande était incroyable pour la musique live et du coup, on trouvait toujours des “gigs”. Le rap n’a plus besoin de musique live.
Il faut aussi être impliqué et sobre. L’alcool, la drogue, ça n’a jamais aidé à être cool. Ça n’a jamais aidé à mieux jouer. Les musiciens qui croient ça n’ont rien compris. Moi, j’ai toujours été sérieux, parce que j’ai toujours voulu donner le meilleur de moi-même. Quand tu joues avec Marvin, que tu as 22 pages de partitions sous les yeux, tu dois être au top. Tu dois être concentré. Tu ne peux pas te permettre de ne pas être bon. C’est ta réputation qui est en jeu. »
Un enfant de la Motown
Gerald est né en 1954 à Los Angeles. Il découvre la musique enfant : chez lui, on écoute la radio, les tubes de la Motown, Stevie Wonder, Les Jackson Five, James Brown… Il choisit d’abord la trompette, puis se met à la contrebasse. Il baigne donc dans une culture musicale Rhythm & Blues typique de son époque. Il a 10 ans quand les Civil Right Acts sont signés.
« La musique a été un incroyable moyen politique : il ne faut pas oublier que les années 60-70 sont des années cruciales dans l’histoire des noirs aux états-unis. Presque tous les artistes noirs de l’époque étaient engagés dans la lutte pour l’égalité des droits, tous domaines confondus : Mohamed Ali, Nina Simone, Stevie Wonder, Louis Armstrong, Donny Hathaway… Tous dénonçaient le quotidien injuste des afro-américains. James Brown sera le premier à dire à la communauté noire : « Soyez fiers d’être noirs, soyez fiers d’être vous : Say it Loud, I’m Black & Proud! ». C’était en 1968. et sa chanson, on la chantait tous ! C’était notre hymne dans l’Amérique déchirée de la lutte pour les droits civiques. Tu sais, James Brown lance un cri d’orgueil et de colère qui change la donne. Désormais, on peut dire à pleine voix : « Je suis fier d’être noir ! ». Avant on ne le disait pas. »
Il ne fait aucun doute que Gerald incarne la génération Motown.
Gerald avec Wayne Vaughn sur le projet 3 Generations of Groove
Les conseils de Gerald
“ Ne te limite pas ; n’aie pas peur d’apprendre ; travaille ton instrument sans relâche ! Sois impliqué ; cherche les opportunités ; bosse ta technique régulièrement ; écoute les autres musiciens avant tout. Les jeunes peuvent tout apprendre avec Internet maintenant ! Ils ont tout à porter de main pour prendre des cours en ligne, écouter tout et n’importe quoi, et pour se créer un réseau. Ce qui fait la différence, c’est ton implication et les rencontres ».
Interview réalisée le 9 décembre 2015 au Grand Casino, Culver City, CA
Photo concert Brésil : Un grand merci à Victor Brooks 2